L'ouvrier, la paysanne et l'aigle

On pourrait appeler les Stanikas des « mystiques » contemporains, poussant ce concept au point d’une monumentalité effrayante. Dans leur travail, les artistes s’imprègnent aussi bien de la tradition de la pensée (iconographique) chrétienne, celle de Dante Alighieri ou de Michelangelo Caravaggio, que du romantisme « athée » occidental de l’époque moderne qui s’en est suivi, celui des frères Grimm par exemple, ou bien encore d’un peu plus tardif radicalisme marginal corporel de, par exemple, de Sade, tout en préservant « l‘âme archaïque orientale » (sachant bien entendu que dans le monde contemporain il s’agit juste d’un cliché culturel). Cette « âme » teint leur oeuvre, comme celle de l’écrivain lituanien Oskar Milosz, ayant aussi vécu à Paris, de couleurs du rétro-maniérisme orné de mélancolie et du décadentisme sombre et à la fois un brin sarcastique.
Quant au contenu, leur oeuvre jongle métaphoriquement entre les « genres » de l’épitaphe classique, de l’allégorie, des contes, des fables et du triller, qui sont racontés en faisant appel à l’esthétique de la publicité contemporaine et des média de masse (ces domaines ne sont ils-pas également une fabrique des contes contemporaines ?).
Les Stanikas installent toujours leurs oeuvres (les mots « plantent » ou « tissent » conviendraient mieux) selon les principes d‘un bâtiment de culte – d‘une église ou d’une chapelle imaginaire. Chez eux, deviennent importants, non seulement les oeuvres, mais tout l‘espace environnant, qui se transforme en un ensemble fonctionnel, textuel, en relation avec le contenu et la forme.
Pour les Stanikas, l‘énergie de l‘espace et son contexte sont également importants. Comme ici, où les artistes déploient leur narratif macabre à l’endroit même où, en 1937 lors d’une exposition internationale, ont été installés les pavillons de l‘Allemagne fasciste et de l‘Union Soviétique. D’une certaine manière, le couple réactualise et ressuscite les lieux où de très grands (au sens propre) symboles de propagande de ces deux empires totalitaires « s’exhibaient » alors sinistrement l’un face à l’autre: l’aigle allemand et la composition sculptée d’une kolkhozienne et de l’ouvrier brandissant respectivement la faucille et le marteau, symbolisant l’empire soviétique.
Ainsi les Stanikas se servent délibérément de l’histoire et de l’énergie de cet endroit, de leur propre expérience (post-)soviétique, des certains symboles et de leur mélange, même des images des oeuvres de chambre du grand père de Paulius Stanikas – célèbre sculpteur des temps soviétiques, et, en superposant les contextes, révèlent et tirent de l’abysse des temps passés des épouvantails fantasmagoriques de l’histoire de la civilisation occidentale, comme s’ils contaient un rêve surréaliste oppressant.