KESTUTIS SAPOKA
LIMINALITE ET SCHISMOGENESE DANS LES OEUVRES DE SETP
STANIKAS
Les oeuvres de SetP Stanikas, particulièrement les premières, peuvent être
abordées par les concepts de liminalité et de schismogenèse, en raison du fait
que les artistes ont commencé leur carrière à la jonction des années 1980 et
1990 à Vilnius – dans un espace-temps où l’empire Soviétique « mythique » et
« mystique » se fissurait et s’effondrait, où la Lituanie se retrouvait au milieu de
changements idéologiques, de changements de valeurs, d’inversion des
extrêmes, subissant de plein fouet une scission de la conception/vision du
monde, de ce que l’on peut appeler aujourd’hui l’avènement fondamental de la
transformation de l'identité lituanienne.
La schismogenèse est propre à ces années 1988-1998, où le renouveau
des arts a entrainé des « scissions », des controverses, des sortes de
paradoxes, formant de nouvelles ( ?) mythologèmes de fusion de la réalité et de
l’art. De plus, le duo des Stanikas – la femme et l’homme, l’artiste céramique et
l’économiste, se conçoit comme un duo schismogenèse, avec une double
identité, quand les deux parties d’un même corps sont indépendantes mais qui
lorsqu’elles sont réunies ensemble forment « un tout » identitaire.
Le fond socio idéologique et sociohistorique
D’une certaine manière, la forme « choquante » des premières oeuvres des
Stanikas, notamment celles des années 1990, dérivent directement d’un
« point de vue » politique et historique concret ; ces traits d’extrémités avec l’une
ou l’autre forme étaient propres en grande partie à l’époque (post) Sąjūdis
(Mouvement réformateur de Lituanie), y compris dans les domaines de l’art.
Leur chemin en tant que duo d’artistes a débuté par la « céramique » ou plus
concrètement par des objets en céramique puis plus tard par des sculptures,
mais au tout début, leur particularité résidait dans des installations, lorsqu’un
objet (sans importance décorative ou illustrative) représentait un tout esthétique
hermétique qui se suffisait à lui-même mais qui créait une (re)construction de
l’espace, ouvrant une partie narrative de l’espace social plus large et en même
temps une autre partie qui se formait d’elle-même, « écrivant » ainsi cet espace.
Suivant leur démarche, les artistes ont ainsi exposé dans des espaces
inhabituels, voire « marginaux », dans des contextes parfois « kitchs », comme
par exemple dans une vitrine du Salon commercial d’art de l’Union des peintres
de Lituanie etc. L’oeuvre n’étant pas ainsi uniquement un objet, mais le corps, un
agent agissant dans l’espace (historique, politique, institutionnel).
L’époque (post) Sąjūdis a été marquée par le recodage de l’espace-temps, la
reconstruction, la réécriture, la ré-idéologisation, un réagencement total à la fois
politique et existentiel, ce que l’on peut définir par les termes de liminalité et de
schismogenèse. C’était alors l’époque de défragmentation et de nouvelle
fragmentation, l’époque de la création d’une nouvelle identité collective, mais
aussi une « défragmentation » et une nouvelle « re-fragmentation », ainsi que
des nouveaux modèles d’identité rendus possibles grâce aux parties
composantes des transgressions extrêmes (comme toute idéologie de
protestation).
Les premières oeuvres de Svajonė et de Paulius Stanikas sont caractérisées
par une confrontation des niveaux fondamentaux qui s’expriment aussi bien par
la forme que par le contenu, souvent tout simplement à côté des objets, c’est-àdire
des contextes, des oppositions à l’espace lui-même („Haende Hoch“, 1991;
„Sonetai“, 1994 et autres).
De là, apparait l’aspect de « noeud » historique ou de « noeuds » entremêlés
non affichés ouvertement dans leurs oeuvres, mais qui peuvent faire réagir de
manière inconsciente, dessinant des directions paradoxales retro-futuristes de
leurs oeuvres. Comme si (Post)Sajudis s’était déplacé et avait fendu l’espacetemps
en au moins deux parties, l’avant et l’après, marquant dans les oeuvres de
Stanikas plusieurs niveaux, qui se définissent comme « art contemporain »
surtout par les retro tactiques ou pseudo retro tactiques ; parfois réfléchies, et
parfois intuitives, presque dues au hasard. L’Histoire, à la fois de manière macro
et micro participe toujours comme matière liante, que les artistes eux-mêmes le
veulent ou non, parce que le « point » de leur début est étroitement lié avec elle
et avec son certain « point de vue ».
On peut dire que dans les oeuvres des Stanikas ce « noeud (post) Sajudis »
se manifeste comme une « rupture » idéologique et formelle, quand les images,
les aspects et la narration (para)historique elle-même « se brisent » comme un
miroir et commencent à agir par un principe schismogène/liminale, comme
lorsqu’on avance en même temps dans deux directions opposées : dans une
direction retro déformée, déformée de manière grotesque et de plus en plus
fragmentée, comme si « on voyageait en arrière » et par des formes déformées
para mimétiques où surgissent les fantômes du réalisme socialiste, du
classicisme, du baroque etc., en général il se créé un simulacre d’espace-temps,
de visualisation historique.
L’époque soviétique et le principe de réalisme socialiste qui la représente
participe aussi à la fois directement (par les aspects représentants l’époque
soviétique), mais aussi de manière cachée (par la sémantique des formes) et
même de manière subjective (par les niveaux autobiographiques) dans les
oeuvres des artistes, mais ce réalisme socialiste est « saccagé » par les
mythologèmes de l’ère de rupture, la façon de regarder. Le pathos de la
propagande et la psychologie du réalisme socialiste restent, mais le contenu et la
forme changent ( ?), prenant des traits grotesques, de « socialisme décadent ».
Paulius Stanikas a appris le dessin et la composition avec son grand-père
Petras Vaivada, sculpteur officiel de la Lituanie soviétique (du temps de Staline
et de Khrouchtchev), maintenant représentant controversé du socialisme
académique. Donc au niveau méta historique se sont incrustées les
mythologèmes autobiographiques controversés des aspects et des images de
l’époque soviétique. Tout d’abord par « tradition » familiale, c’est-à-dire à
certains niveaux non assimilés (de l’élite soviétique), d’une mentalité spécifique,
parfois même infantile, et d’autre part des sculptures, des dessins, des croquis
du grand-père (surtout dans les premières oeuvres des Stanikas) et qui parfois
deviennent la partie intégrale des installations des artistes, de la narration, sans
signifiant concret, déterminé, représentant autant les canons de peinture et
d’idéologie soviétique que la forme « classique » (deux fois plus déformée) en
général, comme mimétisme du mimétisme.
Les strates sociopolitiques, sociohistoriques et (auto)biographiques se
mêlent inévitablement et tendent une toile parallèle, parce que les sculptures de
Vaivada et leurs sens (non)générés fonctionnent paradoxalement non seulement
comme la partie d’une version historique (qui s’éloigne), mais comme des récits
ré(de)actualisés paradoxalement continus, devenant même le plus souvent
« surréels ».
Certaines sculptures de Vaivada se trouvent désormais au parc de Grūtas,
dans une sorte de ghetto grotesque, d’autres sculptures font encore partie d’un
ensemble sculptural trônant sur le « scandaleux » Pont Vert, et qui est
paradoxalement piégé dans le tissu de notre époque. Ainsi le niveau
(auto)biographique soviétique des Stanikas créé des installations paradoxales,
surtout dans les premières, et appelle à la totalité narrative idéologiquehistorique.
Si l’on faisait une caricature exagérée de l’époque soviétique et du
réalisme socialiste (dans ses versions les plus dogmatiques) et que l’on
l’appellerait (pseudo)renaissance, alors tout ce qui participe au niveau rétroactif
dans les oeuvres des Stanikas, à savoir les aspects soviétiques
(autobigraphiques) et les symboles, pourrait s’appeler avec ironie maniérisme,
celui-là même qui a suivi la Renaissance avec cependant dans ce cas, un sens
plus positif que négatif. Un peu comme une suite dégénérée et une réaction
critique.
Pourtant le point de départ de leurs oeuvres ne provient pas souvent des
aspects de l’Histoire de la Lituanie soviétique, dans les « Poésies de feu » par
exemple, qui représentent des corps carbonisés, il est plus question de l’image
de Jeanne d’Arc, brulée vive. Cependant dans la forme des cycles de ces
oeuvres s’incrustent inévitablement les structures mentales, sociales,
idéologiques de l’époque concrète de manière directe au niveau technologique
(création du cycle) et à un niveau indirect comme l’expression du point de vue
collectif, des sensations de la réalité et des niveaux sociaux.
C’est donc surtout la rupture de Sajudis et les années qui ont suivi la période
de l’indépendance qui ont entremêlé ce noeud à partir duquel les versions de
l’histoire ou de la mémoire collective ont progressivement été défaites,
fragmentées et progressivement perçues plus comme un stock en vrac, une
espèce de dépôt, un peu comme des archives non rangées (parfois même une
décharge de l’histoire), comme un espace-temps qui a perdu son statut de
narration unique (actuelle), envisagé non comme un tout, mais comme une
somme de para narrations chaotiques, parfois exotiques, parfois même
démoniaques et non comprises, mais qui à partir de ce « point de rupture » ont
été considérées comme Autre.
La rhétorique pseudo chrétienne du bien et du mal
Dans les premières oeuvres des Stanikas (avant l’émigration en France au
début des années 1990) le niveau pseudo historique ou pseudo baroque est très
clair, on peut encore le comprendre comme la manipulation sécularisée de
l’iconographie et de la symbolique chrétienne, mais encore une fois en
l’accouplant avec les nouveaux mythologèmes contemporains de la mémoire
collective. En ce sens, les oeuvres typiques des Stanikas seraient « La
Communiste (Paris) et les Diables », 2004, composée de photographies des
membres du Parti communiste français et de quatre photos « auxiliaires » plus
petites (« Roue du Diable », « Jeune Diable », « Ciel du Diable » et « Vieux
Diable »).
Ici se mêlent autant la rhétorique chrétienne du bien et du mal que la
diabolisation du communisme lituanien reproduite/visualisée, et en même temps
quelque peu ironisée (difficile de dire de manière consciente ou non), tout en
gardant à l’esprit le contexte très fortement catholique de la Lituanie. D’ici
proviennent les rhétoriques chrétiennes propres aux oeuvres des Stanikas, ainsi
que la passion des extrêmes propre à la symbolique du baroque (mais comme
on l’a déjà dit sécularisé), les situations limites, le lien vers les « transgressions »
et les « perversions ».
Dans les cas d’exagération, d’imitation, de rhétorique pseudo-chrétienne et
des symboliques de l’image, la rhétorique de « l’âme » est très importante, elle
est problématisée par le corps et la corporalité. Les Stanikas exploitent non
seulement les images limites du corps/Histoire et les sens paradoxaux, les
oppositions, mais cette rhétorique visuelle de l’état des corps (et des sens) est
souvent enveloppée dans des manteaux, avec des aspects maniérés décadents
d’un baroque ( ?) (contemporain). D’où un concept de théâtralité important.
Comme on le sait, la culture baroque et son sens rétrograde (comme la
revalorisation du Moyen-Age), l’obsession de la mort (visuelle, littéraire,
musicale) était particulièrement typique (charnelle) ainsi que les extrêmes
d’ascétisme et d’hédonisme, les fantaisies, le mysticisme religieux, la pensée
paradoxale, les structures rhétoriques complexes, la casuistique, les
vulgarismes, le maniérisme (hérité) et l'esthétique décoratives décadente pompa
funebris. Dans ce sens on peut appeler les oeuvres des Stanikas nécroromantiques
autant en faisant un appel indirect au « baroque » (que les artistes
consciemment et de manière conséquente ne citent pas dans leurs oeuvres, les
associations étant plus intuitives), autant en retournant à l’époque de rupture
citée ci-dessus.
Dans une interview les artistes reconnaissaient que Vilnius avait une très
grande influence dans leurs travaux, pas forcément de manière directe, mais par
sa structure historique (et baroque), « avec tous ses os… » Et par une réflexion
iconographique des extrémités du baroque, basée sur la croyance que « tu
poses une minute et l’instant d’après la mort t’emporte » , et donc par le leitmotiv
des « os de Vilnius » nous retournons à nouveau dans le domaine
autobiographique.
Le corps et la corporalité dans les oeuvres des Stanikas sont essentiels, c’est
la pierre angulaire, la symbolique, l’idéologie où se croisent les aspirations
(para)historiques, subjectives (autobiographiques). Le niveau autobiographique,
très souvent, voire presque toujours intervient dans les oeuvres individuelles des
Stanikas ou dans leurs installations complexes, parce que les artistes utilisent
leurs corps comme « modèles » ou même comme « objets », se mettant parfois
eux-mêmes en scène dans des films, des photographies, c’est-à-dire se
« citant » littéralement eux-mêmes et leur environnement, parfois par le biais de
transformations, de reconstructions, provoquant ainsi quelque chose d’autre, un
« mauvais esprit », une « destinée », un « masque », comme dans la vidéo
« Veuve Noire. Afrique du Sud » quand Svajonė Stanikienė « se réincarne »
dans la figure d’une femme « présumée enceinte » et qui dans une danse
macabre, avec une chaussette noire sur la tête fait « fondre » son visage. Ceci
est non seulement la manipulation de la symbolique du démon, mais l’utilisation
de la syntaxe sécularisée condensée publicitaire hollywoodienne (pop culture
contemporaine) visuelle-symbolique, on peut dire une pseudo mystique para
psychanalytique de Lynch à double fond, lorsqu’au même moment on éprouve
une peur tout en sachant pertinemment qu’il y a un truc, une tromperie, un
emprunt et une ironie.
Ainsi, les strates autobiographiques, l’histoire sociale et subjective (les corps
des artistes eux-mêmes, l’environnement, les intérieurs, les images historiques)
participent le plus souvent directement dans les oeuvres de Stanikas et créent
cette iconographie symbolique (comme « The Men are watching leaving
Women », 2004, « Look. Vilnius (Soviet Union), 1976 », 2001 etc.).
La sémantique des concepts
Dans l’iconographie ultra corporelle des Stanikas, la narration para ou
pseudo historique s’exprime (in)visiblement par une sémantique propre autant à
l’imagerie de la propagande ou de la publicité (qui est la même chose), autant
par les aspects, les banalités propres au moteur – la mort et le sexe - de la
culture populaire (comme le classique chrétien). Mais les Stanikas (pas
forcement de manière consciente) se balancent à la limite de la banalité,
manipulent les ambiguïtés de planéité et de profondeur, d’intellectualité et
d’infantilité.
D’après Saumius Grigonavičius, ici se mêlent les notions et les images de
rock’n’roll, de drogues, de pop culture, qui ne rajoutent pas seulement une souscouche
supplémentaire sur le pan(pseudo)historicisme des Stanikas, mais qui
s’y incrustent, transformant en mystification publicitaire, avec une pathétique
condensée et en même temps emphatiquement superficielle propre aux clips
vidéo des musiques de Madonna, Army of Lovers etc. Ici, la perversion est
parfois vraie, parfois jouée de manière drastique ou de manière naïve, enfantine,
imaginaire. En d'autres termes, on joue avec l’ambiguïté non seulement des
clichés de l'art « haut » et « bas », mais en général, avec les clichés de « l’art »
comme un tout essentiel.
C’est ainsi que dans les oeuvres des Stanikas de ces dernières années le
pan(pseudo)historicisme s’affaiblit et le niveau du présent actuel devient plus
fort, bien entendu toujours inévitablement lié à l’histoire. La source d’inspiration
au sens propre comme au sens figuré devient les médias, les moyens
d’informations de masse : télévision, internet, et la transformation (historique) de
la réalité. Cette transformation devient le point de départ d’une histoire / récit
comme les drames de la vie (presque biblique) de Johanne Klara Eleonore Kohl
ou d’Aisha Kadhafi, avec d’autres narrations visuelles ou extraites d’installations
prises sur internet.
(Re)transmis par les moyens de communications, les reportages de Lybie,
cette tragédie de la famille Kadhafi qui dépassait les contes hollywoodiens, est
devenue la source qui « naturellement », sans même s’en rendre compte, a
occupé les pensées, l’imaginaire des Stanikas qui développèrent alors toute une
fabula d’installation. Les Stanikas racontent avec leur propre manière le drame
horrible et en même temps transfiguré par les médias, l’influence esthétique
remarquable aux motifs bibliques d’Aicha Kadhafi, plongeant non seulement
dans des détails concrets mais dans un fond contextuel, utilisé pour créer une
narration et des sensations particulières, comme s’il était question de questions
« universelles ». Mais comme nous l’avons déjà dit, ces questions
« universelles », sont condensées comme dans une publicité, il est difficile de
s’extraire de leur côté artificiel, des manipulations des images banales et même
d’une superficialité évidente.
Il faut attirer l’attention sur ce trait caractéristique de la culture populaire :
compiler, emprunter, retransformer, mixer, en empruntant souvent non une
oeuvre ou un sens concret, mais l’énergie, le statut, l’aspect de cette oeuvre,
l’évènement culturel. Les Stanikas utilisent avec intelligence les tactiques du
mimétisme. Souvent mixé avec un cocktail de musique, les aspects visuels, les
idéologies empruntées sont « nouées » par des intercalations artistiques. Pour
cette raison, on peut les appeler les maîtres de la création de l’image publicitaire,
les illusionnistes, les magiciens des trucs, quand l’impression, l’humeur, l’illusion
narrative sont créées à partir de rien, compilant les narrations, les aspects déjà
créés, plus forts, plus influents, comme un fond qui renforce leurs oeuvres en
créant un nouvel aspect et de nouvelles impressions. Souvent les artistes
accordent facilement les images empruntées, les aspects visuels en adéquation
avec des détails qui demandent beaucoup de travail, par exemple en
accommodant des clips vidéo trouvés sur internet avec des dessins
gigantesques « baroques », qu’ils se mettent à dessiner longtemps l’un après
l’autre. Dans les oeuvres des Stanikas l’impression, l’aspect visuel remplacent
souvent le contenu. Mais cette impression, cet aspect visuel ont aussi un double
sens, ils manipulent en quelque sorte le spectateur sans lui permette de se
décider. Comme dans des films hollywoodiens, les effets et l’efficacité doivent
« tuer », « surprendre » au début.
Installation
Parlant des aspects formels, le rôle d’un espace concret est très important
dans les installations des Stanikas et pour cette raison leurs installations sont
appelées des installations site spécifique dans le sens direct et indirect. C’est
l’une des caractéristiques pan(pseudo) historique paradoxale des oeuvres des
Stanikas, qui se manifeste non seulement par l’utilisation (in)conscient des
narrations historiques, mais aussi par l’insertion d’un espace concret, réel dans
leurs oeuvres. Vivant à Vilnius ou à Paris, l’environnement, ses artefacts, ses
symboles s’insèrent d’eux-mêmes comme des éléments naturels de l’oeuvre, de
l’installation, de la narration : une sorte d’« alphabet ». S’introduit également
l’utilisation des artefacts des oeuvres du grand-père de Stanikas. Qu’ils soient
des émigrés lituaniens, ou qu’ils créent dans d’autres pays, il apparait toujours
dans leurs oeuvres des extraits de la réalité de l’environnement concret où ils
habitent, qui sont comme un fond pour leurs photographies, films vidéo ou la
forme de certains objets. D’un certain point, les Stanikas créent des installations
qui utilisent souvent la localité.
La localité peut se comprendre comme l’utilisation de l’énergie d’un lieu
spécifique lorsque l’installation est conçue non pas dans une galerie mais dans
un lieu public comme par exemple lors de la Nuit blanche à Paris, où les artistes
ont choisi un lieu particulier, le lieu où se situaient à la veille de la Deuxième
guerre mondiale côte à côte les pavillons de l’Allemagne nazie et de l’Union
soviétique lors de l’exposition universelle. Dans d’autres cas, par exemple,
lorsqu’une installation est créée pour une galerie, ils utilisent les spécificités
architecturales. Les artistes utilisent souvent également des objets du quotidien,
achetés au supermarché (ces dernières années, les installations des Stanikas
utilisent beaucoup d’objets du quotidien pour créer des compositions
fantasmagorique, en « effaçant » leur sens d’origine pour créer des « fables »
pseudo historiques ou pseudo réelles).
Il faudrait citer l’un des derniers projets des Stanikas « Le lit double » qui
était une création pour un endroit concret, à savoir le musée-galerie de Marija et
Jurgis Šlapeliai, où les espaces assez complexes de la galerie furent utilisés en
partie, une autre partie étant reconstruite, le tout devenant de par l’architecture et
les oeuvres elles-mêmes, partie intégrante de la conception, dictant la structure
de l’installation et en partie son sens. Ce projet est l’un de ces projets où
l’installation ne devient pas une oeuvre mais l’utilisation, le renforcement d’un
espace concret spécifique ou au contraire la transformation vers un autre espace
à moitié fantastique. L’endroit devient souvent le support narratif où s’installe le
récit de l’installation des Stanikas.
A la place d’un résumé
En parlant des oeuvres de Svajonė et de Paulius Stanikas le « noeud » de
transformation contextuel des époques soviétique et des autres, retourne
l’historicisme des artistes y compris les faits biographiques personnels. Cette
distorsion est double. Si l’on simplifie et que l’on considère l’Histoire comme une
« ligne droite », nous avons d’un côté le « point de rupture » de Sajudis, un
retour vers un niveau d’iconographie soviétique et de l’autre côté un voyage « en
arrière » jusqu’à une sémantique (neo)(pseudo)baroque. Ensemble on part « en
avant » vers le temps d’aujourd’hui et « l’avenir » - vers le brillant de la culture de
masse et l’esthétique des tactiques publicitaires de « lavage des cerveaux ».
Il ne faut pas oublier que l’époque de Sajudis s’est rapidement
mythologisée, devenant l’un des plus forts mythologèmes visuels, linguistiques
de notre histoire nouvelle, les phénomènes artistiques étant nés à cette époque
voir un peu avant ou un peu après ayant reçu des points mythologiques
supplémentaires, devenant des noeuds historiques mystérieux « des points de
rupture ». Même si l’Histoire en tant que telle n’est pas la catégorie essentielle
d’une oeuvre ou d’une autre de cette époque, la spécifique du temps la fait telle,
parce que le fait qu’une oeuvre provienne de cette époque, qu’une oeuvre naisse
dans un tel espace-temps créé un mythologème historique puissant.
Le trait de mystifier des oeuvres dans le bon ou le mauvais sens est
propre à une génération de quelques artistes à l’époque Sajudis ou au moment
de la restitution de l’Indépendance, parce que la mystification cache, masque les
parties faibles, mais d’un autre côté parfois « attache », « ferme » les oeuvres
dans certains cadres d’époques révolues, en barrant le chemin à de nouvelles
interprétations.
Cependant, de l'apparence des directions « opposées » dans les oeuvres
des Stanikas, celles-ci ont plutôt tendance à « plier » la ligne droite de l’Histoire
et son alignement, la transformant en spirale. Ainsi, les oeuvres de ces artistes
peuvent se comprendre comme des arabesques d’aspects visuels, d’images
(meta)historiques et en même temps un « extrait » transformé à sa manière de
l’Histoire lituanienne et de sa propre histoire en elle.
Les artistes parlent avec ce langage « stérile » international propre à l’art
contemporain (c’est à dire l’art qui a débuté dans les années 1980-1990, et qui
s’est transformé en conjoncture stérile et vide), mais ce langage peut renfermer
des niveaux plus spécifiques : iconographique-symbolique et autobiographique,
qui nous « attachent » rétrospectivement à un certain endroit et à une certaine
époque. Autrement dit, parlant en langue de qualité et purifiée par le marché de
l’art occidental et des problématiques universelles, Les Stanikas, tous deux,
(parfois de manière inconsciente) travaillent avec les mythologèmes nationaux et
spécifiquement locaux, touchant « les seuils traumatiques » historico-culturels.
La plupart de ceux qui ont écrit sur les oeuvres de Stanikas, ayant à
l’esprit leurs premières oeuvres, accentuent les perversions, le thème de la mort,
les mesures drastiques, pourtant (surtout sur les dernières années) les
installations des Stanikas apparaissent plutôt grotesques avec un certain
humour, utilisant des éléments d’auto parodie, avec une certaine superficialité,
même un niveau de « blague stupide » et un côté décoratif.
En exploitant ces niveaux sémantiques troubles d’(inter)nationalité, les
Stanikas se retournent souvent en arrière en utilisant la tactique de sens
« retro », « qui tournent l’histoire (de l’art) vers l’arrière », mais il ne faut pas les
comprendre mot à mot. Avec le style publicitaire limpide propre à l’époque
d’aujourd’hui « reconstruisant » ou « forçant » les images de la mémoire
(inconscientes), les Stanikas activent et soulèvent les problèmes des
mythologèmes de la vision du monde, en les faisant liminaux, schismogènes.
„(…) l’identité au début s’éprouve, elle se construit à l’intérieur des individus, c’est
seulement plus tard qu’elle s’exprime à l’extérieur. Donc, si l’on veut ressentir l’essence de
l’identité lituanienne, il faut retourner à l’époque où elle est apparue soit vers les années 1989–
1992. (…) La notion de liminalité (…) englobe les situations et les conditions marginales de
transitions pour lesquelles la déstabilisation des structures est typique, où l’état pas n’est pas
clairement défini ni sa continuité ni son avenir. L’état d’instabilité et de non continuité créé dans la
société des situations dans lesquelles les expériences vécues transforment les gens
cognitivement, émotionnellement et moralement. (…) Schismogenèse (…) est le processus
lorsque les composants harmonieux de certains objets publics ou la vision du monde elle-même
des uns et des autres commencent à se séparer, déformant l’essentiel de l’objet. Ici la
schismogenèse marque deux processus de scission – dans la formation de la conception du
monde homogène et dans la conception lituanienne (…) (Arvydas Grišinas. « Liminalité et
schismogenèse : lituanité (lietuviškumas) comme une chose sacrée ? ». In. Naujasis židinys-
Aidai, 2010, nr. 12, p. 461–462.)
Au début ils étaient trois, ils formaient le groupe « ŠV » (« Šūdina virvė »/ « Le fil
merdique »), avec l’artiste céramique Ona Grigaite.
De par le niveau esthétique-formel on peut faire l’hypothèse que la particularité du duo
des Stanikas dans les années 1990 et dans le nouvel art, a été déterminée en partie par des
expériences professionnelles atypiques : d’une artiste céramique et d’un économiste ayant appris
l’art en autodidacte. « Atypique » signifie ici la possibilité de ne pas respecter les canons socioesthétiques
dominants et la vision du monde formée par la division stricte de l’atelier et de la
hiérarchie, ainsi que le répertoire des clichés socio esthétiques de la peinture et de la sculpture à
l’époque soviétique. Une telle existence à l’écart des principaux clichés de réflexion esthétique (et
inversion paradoxale du style socio réaliste) à l’époque de Sąjūdis et peu après, a pu dicter des
solutions esthétiques non standardisées.
Sąjūdis est souvent appelée la révolution baroque (Chantée) par les pays voisins
(lettons et estoniens). kaimyninių šalių atstovų (latvių ir estų) dažnai vadinamas (Dainuojančia)
barokine revoliucija.
Jean de Loisy. World War. In. World War: The 50th Venice Biennale. S & P Stanikas.
Solidarity, 2003, p. 9.
Ayant en tête l’arrière-plan soviétique et postsoviétique des années 80-90 ainsi que le
groupe d’artistes créé dans les années 1980 à Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), et qui
s’appelait les Nécroréalistes.
S&P Stanikas sur la mafia de l’art de Vilnius In. HYPERLINK "http://370.diena.lt/
2010/10/22/sp-stanikai-apie-vilniaus-meno-mafija/"http://370.diena.lt/2010/10/22/spstanikai-
apie-vilniaus-meno-mafija/ (vu le 12/ 01/2011)
Mindaugas Paknys. La mort dans la culture du Grand-duché de Lituanie au XVI-XVII s.
Vilnius: Aidai, 2008, p. XLVIII.
En premier, j’ai vu l’oeuvre des Stanikas et ensuite j’ai vu leur nom, leur oeuvre est
efficace. Les énormes fragments des photographies de cercueils profilés et dorés ressemblent de
loin à une étagère de livres prise en photo de trop près, et ça donne un aspect chaleureux. Et
quand on comprend ce que l’on voit, un changement à l’intérieur nous frappe. Des
photographies à même le sol des images de Svajoné et des dessins à l’ancienne nous vient ce
sentiment du « ah, bien sûr, comment sans eux ». Le drame amplifié est lié avec d’autres de
leurs travaux sado-maso « pleins » de noblesse. La gravitation des prénom dans ce cas,
personnellement en ce qui me concerne, a diminué l’effet, parce que ce pompeux rappelle
toujours la bande son des films hollywoodiens, ce moment qui t’oblige à « Trembler, t’inquiéter et
pleurer ». (Monika Krikštopaitytė. « Fête des chansons » des galeries : une promenade au
marché de l’art « ArtVilnius 2014 » // in 7 meno dienos, Nr. 25 (1086), 27/06/2014, sur internet
http://www.7md.lt/daile/2014-06-27/Galeriju-dainu-svente)
100 artistes contemporains lituaniens. Vilnius: Centre Soros de l’art contemporain en
Lituanie, 2000, p. 146.
Par exemple dans les oeuvres de Jospho Beuso ou d’Anselm Kiefer, autant dans les
sujets les formes et la sémantique indirecte, on peut trouver des niveaux de mentalité
spécifiquement allemande, de même que dans la genèse de la corporalité performative de Chien
de Pavlov d’Oleg Kulik, on peut entrevoir des controverses de l’histoire politique et esthétique de
la Russie du XXe siècle, les « personnages » de Paul McCarthy, on peut trouver les
transformations grotesques corporelles de Mathew Barney comme l’incision de la culture
particulièrement « peu profonde » américaine commercialisée, behavioriste et etc. En même
temps dans les niveaux plus profonds des oeuvres des Stanikas on peut y voir par exemple les
rudiments de la récupération de la mentalité relativiste néo-soviétique (aristocratie nomenclatura)
peut-être de manière inconsciente etc.