Kęstutis Šapoka


MOURIR SUR SCENE


Les oeuvres de S & P Stanikas
Dans le cadre d’« ARTscape », deux installations de Svajonė et Paulius
Stanikas sont présentées à la galerie « Vartai ». Comme souvent, les « installations »
des Stanikas « sont inspirées » de faits d’hivers, d’événements « superficiels »
trouvés ici et là dans les tabloïds, à partir desquels les artistes jouent, sans
contraintes, proposant d’autres niveaux de compréhension.
Les oeuvres des Stanikas interagissent sur plusieurs registres en même temps :
par exemple quand William Blake, le héros interprété par Johnny Depp dans le film
« Dead Man » qui après avoir ingurgité des substances hallucinogènes croit voir le
signe du masque de la mort sur le visage de son compatriote indien Nobody, ou
quand Quentin Tarantino empile tant de caricatures dans son film « Pulp Fiction »
que cette parodie se transforme doucement mais surement en mystère théosophique,
nous comprenons alors que le réalisateur jongle avec des clichés plusieurs fois lavés
et repassés, des emprunts qui jouent cyniquement avec nos sentiments, mais le tout
étant réalisé de manière si ouverte et directe (et surtout de manière très
professionnelle) que les clichés se dépassent eux-mêmes et nous, de notre côté, nous
acceptons tout cela comme « argent comptant ».
On peut dire un peu la même chose à propos des Stanikas, ils activent des
mélanges associant l’éthiques, l’esthétique, la subjectivité et les stéréotypes, les
codes de la presse tabloïd et ceux plus profonds, les archétypiques culturels, la
sincérité et la simulation, la parodie, le tout réagissant non pas comme une socio
critique face à un avant-gardiste « métaphysique obsolète » mais qui malgré la
qualité élevée d’une forme stérile n’est pas encore une variété morte de l'art
occidental contemporain du « transcendantalisme » socio-bureaucratique (ou de néoconceptualisme
commercial). Parallèlement tout ce jeu quasi-culturel peut se
comprendre comme un éclat superficiel, qui en vérité ne donne pas de sens profonds.
Juste un bon spectacle, une bonne publicité.
*
Lors de cette exposition, les Stanikas présentent deux « installations » distinctes,
mais en rapport l’une à l’autre. En termes de contenus, les deux installations sont
dominées par les leitmotivs entremêlés du destin, de la liberté de choix et de son
impossibilité face à la mort.
La première installation appelée « La vie et la mort d’une renarde » pourrait être
une introduction thématique. Deux photographies de très grand format (avec le grotesque
comme dans les fables) parlent directement du corps insouciant, empli de tentations
(valeurs prétendument vraies et modernes des marques) et de sa fin banale, la même pour
tous. Bien que Svajonė Stanikienė ait posé pour les deux photographies, malgré ces
motifs autobiographiques, l’héroïne de l’histoire est plutôt dépersonnalisée, illustrant plus
une certaine allégorie.
Dans sa forme, l’installation est composée par une composition d’objets du
quotidien : tables, fauteuils, chaises, loupes, fils électriques, télévision, le tout empilé
d’une telle manière que les objets ont perdu leur fonctionnalité et renaissent telles des
figures (spectres) modernes-baroques. Ce n’est pas par hasard que certains éléments,
comme un appareil ménager soigneusement entouré d’un foulard, ressemble à la tête
d’une momie d’une femme, volée au Louvre ou accidentellement découverte à
Rumšiškės.
Ce fantasme des objets posés dans un local relativement sombre, éclairés aux
seules lumières de deux écrans de télévision, évoque un certain volume physique : l’idée
d’une salle funéraire ou d’une chapelle. Les Stanikas ont donc construit une sorte de
chapelle dans leur première installation.
L’installation située dans la deuxième salle parle de choses et de noms concrets.
Cette oeuvre complexe (née et développée à partir d’informations trouvées sur Internet) «
en lui/ à l’intérieur de lui » parle du destin tragique d’Hannelore Kohl, l’épouse d’Helmut
Khol, ancien chancelier allemand : une forme bizarre d’allergie à la lumière, (son)
emprisonnement à la maison et son suicide en 2001. Comme partie de l’installation on
voit également « un petit autel » improvisé avec la photographie de cette femme célèbre
(icone ?). Ici, le plus important est le rapport du contenu et de la forme (la contextualité)
que les Stanikas nuancent plus posément en comparaison de la première installation
introductive.
Formellement cette installation est beaucoup plus « souple » que la première
qui est plus agressive côté matérialiste. Dans cette oeuvre dominent des médias «
vivants » : dessins et enregistrements sonores (voix). Le son et la voix (chanson
française moderne) terminent l’installation et créés un sentiment d’ensemble et en
même temps « enlève le sentiment d’objets ». Ainsi nous entendons une chanson
« (Je veux) Mourir sur Scène » (1983) de la chanteuse culte Dalida qui s’est suicidée
en 1987.
Dans cette chanson sentimentale, Dalida (après avoir fait des recherches sur
Internet on peut remarquer une certaine ressemblance physique entre Hannerole Khol
et Dalida à un certain âge) chante son amour pour la scène par les épithètes comme
« les lumières multicolores des projecteurs » et « groupe d’amies » qui par leur sens
discordent de l’histoire de la fin de vie sombre, pleine de solitude et de désespoir
d’Hannerole Khol (et paradoxalement de celle de Dalida aussi). Ainsi, la chanson ne
créée pas seulement une atmosphère macabre émotionnellement mais tisse une
chaine d’associations signifiantes à plusieurs niveaux. La personnification de cette
installation, des médias « doux », « enlevant le sentiment d’objets » peuvent se
comprendre comme la métaphore du corps (et de l’âme). Donc, la première
installation des Stanikas incarne la chapelle, et la deuxième symbolise le corps mis
en bière. Et toute l’énergie des relations des symboles visuels et discursifs, des signes,
des relations des métaphores entre ces deux installations pourrait être traitée comme
la dialectique étalée de l’existante vs non existence (foi vs non foi) dans le corps de
l’âme, la forme originale d’épigraphie contemporaine.
Pourtant il ne faudrait pas oublier : l’optimisme suspect des dessins
« classiques » et la « corporalité » des fils-tendons-veines, des dizaines de squelettes
de lampes de tables en panne qui emprisonnent le petit autel photographique
d’Hannerole Khol, comme si un « Alien » surgissait d’un film de Ridley Scot, la voix
de Dalida provenant d’un lecteur « banal » nous met à nouveau à la surface du
monde hypersimulatif d’aujourd'hui et qui nous souffle que le caractère sacré de
l'installation peut être une falsification parfaite hollywoodienne. On ne parle donc
pas uniquement de la mort, du libre choix, de la dualité du corps et de l’âme, mais
aussi comment toute cette rhétorique classique universelle se transforme et se fond
dans la culture populaire du « culte des stars », des nouvelles icones, des médias qui
touchent d’une certaine façon aux images classiques culture